Opération Chalheureuse - retour d'expérience Embarquer pour un hiver au Campus de la Transition

Salomé Paulé, chercheuse en résidence au Campus et impliquée dans le groupe de travail sur la sobriété thermique, nous raconte son expérience de l'hiver au Campus. Focus.

Hiverner sans hiberner

À la mi-octobre 2024, je suis accueillie parmi les Compas, ce peuple étrange de jeunes lutins et lutines entre 20 et 28 ans, pour la plupart en service civique, peuplant l'aile Est du château. Au cours des six mois que j'aurais à vivre là-bas, le groupe changera plusieurs fois de couleurs et d'humeurs, avec pour fil conducteur, peut-être, une jeunesse et un enthousiasme transformateurs, à la manière de « compapillons », n'attendant que le printemps pour s'envoler. J'arrive au Campus comme on arrive en terre inconnue, mais je me sens immédiatement accueillie. Les Compiafs m'ouvrent leur nid et je sens que je vais pouvoir passer un hiver doux au milieu d'elles et eux, à l'abri. Sans se laisser engourdir cependant, puisque c'est aussi d'impatience et de joie qu'on piaffe dans ce château !  

Se lier dans le froid

Je me sens au départ comme une étrangère, unique « chercheuse en résidence » et sans mission définie pour le Campus. Je serai ensuite élue représentante des Compas, étonnement, grâce au sortir d'une élection sans candidat qui me laisse sans voix, mais pas encore sans mot. Enfin, j'espère. Je suis inscrite en thèse de littérature et langue françaises sur le sujet des imaginaires et savoirs des modes de reliance, des manières d'être vivants. Mon travail de recherche m'occupe à plein temps, le Campus aussi. Celui-ci m'offre un terrain de choix, bien qu'il soit absolument anachronique au vu de mon champ d'étude et des méthodologies de ma discipline. Chercheuse embarquée, au carrefour de mille projets.

J'intègre rapidement le groupe de travail Opération Sibérie, que nous parviendrons à renommer, après moult réflexions collectives, Opération Chalheureuse. Ce qui nous porte, et ce qui m'attire dans cette recherche-action axée sur les questions de sobriété thermique, c'est cet a priori tant axiologique qu'épistémique : le froid a aussi des définitions subjectives et la convivialité d'un lieu, d'un collectif peuvent modifier le ressenti physiologique. Le froid relie, et cela commence par ce groupe de travail. Nous héritons de l'historique des cinq derniers hivers et d'un nuage d'hyperliens qu'il nous faudra trier. Ce premier apprentissage est bien arpent-tissage, nous nous inscrivons dans un maillage de fils de faire, les chantiers de rénovation thermiques ont abouti, le dernier en date étant le remplacement des fenêtres par du double vitrage, et de fils d'être, les pratiques de soin et d'attention aux dispositifs thermiques pour « réchauffer les corps » puis « réchauffer les espaces » étant bien rodées.   

Beauté de la convivialité

Durant cette longue saison hivernale, nous menons tambour battant réunions au sommet, installation de capteurs hygrothermiques, mise en place d'ateliers pour les bénévoles et les groupes d'étudiants accueillis, questionnaires opérationnels et de recherche auprès des différents publics reçus, dont les salarié.es du Campus, échanges prospectifs et inventifs avec divers.es chercheur.ses. Se mêlent également des services chaudières entre bûches humides, brouettes branlantes et flammes brûlantes, un tournoi intercampusien de ping-pong qui met le fuego à la salle des boiseries, des boissons chaudes et des récits joyeux. Ce que je retiens, ce qui éclate pour moi comme une évidence c'est cette incroyable beauté de la convivialité, ou comment le soin porté à l'expérience de sobriété justifie l'adjectif heureuse, l'invention d'un convivir ajusté et joyeux.    

Savoirs printaniers

Notre chantier principal aura été de bousculer les imaginaires d'une sobriété subie, voire précaire, y compris parmi les habitant.es du Campus. Le récit sibérien manque pour nous le soin et le lien, la douceur de la tendresse. Dans quelques jours, je quitterai le Campus. Je pars avec l'hiver, heureuse de cette hibernation féconde et chalheureuse, nostalgique, un peu, de ces liens tissés, mais riche d'un gai savoir, de la confiance dans les récits et dans le printemps qui, toujours, refleurit.   

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