Mettre en valeur la contribution des tiers lieux au lien social

Le Campus de la Transition a publié son rapport utilisant l'indicateur de qualité relationnelle (RCI) pour objectiver l'intérêt des Tiers lieux pour les territoires.

Comment rendre compte de la puissance d’agir et de produire d’une nation ou d’une organisation ? Alors que les performances économiques sont aujourd’hui toujours mesurées par le produit intérieur brut (PIB) qui ne considère que l’efficacité productive, de « nouveaux indicateurs de richesse » ont été proposés depuis plus de 30 ans. Il s’agit toujours de tenir compte des humains et des « non-humains » qui sous-tendent les forces productives.

Parmi eux, l’indice de capacités relationnelles (RCI : relational capability index) proposé dans les années 2010 par la philosophe Cécile Renouard et l’économiste Gael Giraud vise à caractériser les capacités humaines qui attestent d’une qualité de vie. Il se réfère aux travaux de l’économiste Amartya Sen qui explicite : « La capacité d’une personne correspond à l’ensemble formé par les différentes réalisations (fonctionnements) qu’elle est en mesure d’atteindre, ensemble dans lequel une personne est à même de choisir sa vie ».

Cet indice a d’abord ciblé les pays en développement – notamment pour évaluer les effets de l’exploitation pétrolière sur la détérioration de la cohésion sociale dans le delta du Niger. Cette mesure qui sonde le niveau d’isolement ou de connexion matérielle des personnes, leurs liens de qualité avec leurs proches, et leur engagement dans la cité… a ensuite été adaptée pour évaluer la contribution sociale des entreprises puis la qualité des liens sur les territoires en France.

C’est à partir de cette dernière démarche que le Campus de la transition a réalisé le sondage de onze tiers-lieux (dont la Quincaillerie à Guéret en Creuse, Montrieux le Hameau dans le Var, l’Oasis du coq à l’âme près de Poitiers…) à l’aide de l’indice de capacité relationnelle grâce au financement de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) .

Les résultats ont été présenté le 3 juillet au Sénat par Cécile Ezvan, professeur d’éthique des affaires à Excelia Business School, qui a coordonné ce travail. Celle-ci a rappelé l’apport important de la philosophe Martha Nussbaum connue pour son « éthique de la vulnérabilité » source de liberté d’engagement : « l’objectif politique pour tous les êtres humains d’un pays doit être le même : tous doivent parvenir au-delà d’un certain seuil de capacité combinée, non pas au sens d’une obligation de fonctionnement mais d’une liberté substantielle de choisir et d’agir »

    RCI - Tiers-lieu

    Le RCI-Tiers-lieu (RCI-TL) a été développé pour montrer la contribution des tiers-lieux à la qualité relationnelle et la cohésion sociale en zone rurale. 

    Cécile Ezvan et son équipe (Hélène Lhuillier, Fanny Argoud et Cécile Renouard) ont procédé à 283 entretiens individuels afin de répondre aux cinq dimensions explorées :

    • encapacitation personnelle (quête de sens, estime de soi, pouvoir d’agir),
    • qualité de relation à l’intérieur du lieu (mixité sociale et générationnelle, gouvernance participative),
    • rapport au territoire (écoute des habitants et services),
    • rapport à la société (solidarité, engagement citoyen et solidaire),
    • rapport au vivant (sobriété, faible empreinte écologique).

    Les mots qui reviennent le plus sont Partage, « convivialité », « collectif », « rencontres », « solidarité » ou encore « ouverture ». Ont été collectées des informations quantitatives comme qualitatives pour rendre visibles les contributions de ces tiers lieux à leurs territoires.

    Au final, l’étude a mis en valeur les contributions multiples au lien social des tiers lieux, là où ils sont implantés. « Une manière d’objectiver leur utilité sociale », a reconnu Yolaine Proult, responsable du GIP France Tiers Lieux. Ces outils d’autoévaluation des Tiers lieux sont très utiles pour piloter les politiques publiques ».

    L’Etude Definov a permis aussi de fournir un tableau de bord avec 67 indicateurs pour mesurer l’impact social et environnemental des 3 700 Tiers-lieux de France, qui possèdent d’ailleurs un Observatoire.

    Par ailleurs, le monde de l’ESS s’est mobilisé pour suivre les impacts des « lieux hybrides » notamment au sein de Commune mesure , consortium d’acteurs qui évalue les effets de ces « espaces alternatifs ».

    Au-delà de l’enjeu évaluatif de l’étude du Campus, les auteurs proposent « de voir les tiers-lieux ruraux comme des espaces essentiels dans lesquels investir pour favoriser la robustesse des territoires ». Les tiers-lieux sont pris dans un paradoxe, ils doivent répondre relativement rapidement d’un modèle économique rentable mais les sociabilités qu’ils créent permettent de démarchandiser certaines activités. Ils soulignent : « Plus la confiance est forte, plus les liens hors marché se mettent en place et passent ainsi sous les radars de la performance économique classique ».

    La robustesse des territoires tient donc à des investissements sur les enjeux de lien social qui ne seront pas immédiatement efficaces mais efficients à long terme car cela renforce, maintient et développe le lien social à faible coût. Effet levier du bénévolat, burn-out évité, soutien à la santé mentale et globale, réimplantation d’activité, réinsertion sociale, lien intergénérationnel : toutes ces contributions ont une grande valeur sociale.

    En conclusion, les auteurs préconisent de « privilégier un soutien global et un financement du fonctionnement (en laissant de la liberté aux lieux dans le choix des projets) avec des conditions de reporting régulier (par exemple un rapport d’activité, un retour d’expérience sur des crises de gouvernance passées) mais dans une perspective de long terme ».

      Par Dorothée Browaeys, journaliste et auteur, enseignante Culture du vivant à CY Ecole de design